Une grande confusion a longtemps persisté autour du titre de ce tableau que Théophile Silvestre (1823- 1876), biographe du peintre et rédacteur du catalogue de la galerie de Bruyas, avait baptisé Aline la mulâtresse. Lee Johnson en a désormais rétabli le titre original, Aspasie, du nom d’un modèle « célèbre dans les ateliers de Paris », et la date d’exécution, autour de 1824. Cette datation précoce est confirmée par un examen radiographique révélant sous la couche picturale le profil d’Henri IV, tel que Delacroix l’a peint dans Henri IV confiant la Régence à Marie de Médicis (Los Angeles, County Museum of Art), provenant de la série de copies faites à partir des Rubens du musée du Louvre. Delacroix n’a à cette date jamais quitté la France. Plus tard, il préférera l’Angleterre (1825) au traditionnel voyage en Italie, puis, dès que l’occasion se présentera, l’Orient (Algérie, Maroc, 1832). Ce désir d’exotisme se manifeste déjà dans les grandes compositions, tels Les Massacres de Scio (1824, musée du Louvre) et La Mort de Sardanapale (1827, musée du Louvre). Qu’il s’agisse d’un fait d’actualité (la lutte de la Grèce pour son indépendance) ou d’illustrer Hérodote, le thème fournit à l’artiste prétexte à dépeindre les costumes grecs, souliotes, turcs, un bric-à-brac d’accessoires orientaux, sans compter les odalisques. Ainsi qu’en témoigne la préface des Orientales de Victor Hugo en 1829, « l’Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu, pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale ». Le xixe siècle, qui naît dans les campagnes de Bonaparte et de Kléber en Égypte et en Syrie (1798-1801), est en effet celui de tous les orients fantasmés, et la peinture « orientaliste » devait étirer avec complaisance ces thèmes que Delacroix a toujours traités avec autant de dignité que la peinture d’histoire. L’oeuvre est superbe, de présence charnelle et d’intensité. Venue d’un jet, elle est laissée définitivement à l’état d’esquisse (la robe est brossée à grands traits), comme si toute finition supplémentaire pouvait en amoindrir la qualité. C’est avec la même force que sont traitées tout ensemble la peau et la lumière, par une série de touches vibrantes. Contrairement aux deux autres portraits du même modèle (Zurich, collection Feilchenfeldt), la pose n’est pas sage : la chevelure est dénouée, les épaules dénudées, l’expression a perdu son ingénuité, les bras suggèrent un mouvement arrêté, une relation physique entre le peintre et son modèle, que Delacroix confesse dans son journal en mai 1824. Si Aspasie ne fut pas la seule femme de couleur à poser pour lui (Femme au turban bleu, Philadelphia Museum of Art), elle reste à bien des égards exceptionnelle aux yeux de l’artiste, qui conserve ce tableau dans son atelier jusqu’à sa mort
Emplacement
- 32 - Delacroix et l'OrientalismeNuméro d'inventaire
868.1.36
Date
Vers 1824
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- Femme, féminin, féminité