Fleurs

Durant sa brève carrière, Bazille s’est beaucoup intéressé à la peinture de fleurs, encouragé en cela par son admiration, jamais démentie, pour Delacroix et l’exemple de son ami Monet. Les conseils de ce dernier ainsi que la révélation précoce des natures mortes de Manet exerceront une influence décisive sur le Montpelliérain. Bazille avait sans doute eu connaissance des oeuvres que Manet exposa, début 1865, à la galerie Martinet à Paris (notamment un Vase de pivoines sur piédouche, 1864, conservé au musée d’Orsay). Comme lui, Bazille associe ici un vase de fleurs à des fleurs coupées structurant la composition en deux axes, l’un vertical et l’autre horizontal. Sur un coin de table, le peintre arrange avec soin son bouquet et dispose pêle-mêle des fleurs variées : pivoines, tulipes et boules de neige. À droite, un bouquet de narcisses et de tulipes jaillit d’un vase en cristal. L’artiste joue habilement de l’opposition entre la masse confuse des pétales de fleurs à gauche et la ligne verticale des tiges nerveuses et entrelacées dans le vase. Comme dans la Jeune femme aux pivoines, Bazille met en évidence l’association des boules de neige et des pivoines près du rebord de la toile. Les pivoines, fleurs originaires de Chine, étaient très en vogue en France sous le Second Empire et appréciées de Manet. Le tableau, qu’il convient de situer en 1870, traduit bien l’ascendant de Manet, dont Bazille est proche depuis son installation en 1868 dans le quartier des Batignolles, épicentre de la bohème artistique d’alors. Ici, le brio de l’exécution et la maîtrise de la couleur sont à l’égal de son maître et ami. Un pinceau d’une incroyable souplesse glisse dans la matière colorée et exalte le charme éphémère de ces fleurs en sursis sur la table. Les blancs crémeux resplendissent dans la pénombre de la pièce au mur sommairement esquissé. Le vert émeraude des tiges s’oppose au vert tendre des feuilles de pivoines. Avec une étonnante économie de moyens, Bazille est parvenu à rendre palpable et vivant ce modeste rassemblement de fleurs qui a toute l’aisance et l’autorité d’un petit chef-d’oeuvre classique