La Fileuse endormie

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La Fileuse endormie
COURBET Gustave
(Ornans, 1819 - La Tour de Peilz, 1877)

La fabrication du fil, activité fondamentale de l’économie domestique traditionnellement dévolue aux femmes, a donné lieu depuis l’Antiquité à de nombreux mythes et légendes, et fait de la « fileuse » une figure allégorique particulièrement riche. Inquiétante, la Parque est attachée à produire, mesurer et couper le fil de la vie ; endormie, la Belle au bois dormant de Perrault est plus célèbre aujourd’hui que la Jeannie de Charles Nodier, amoureusement taquinée par Tribly, le lutin d’Argail, dont la gravure par Tony Johannot en 1846 a fourni une source visuelle à Courbet. Le sommeil est un thème que l’artiste a traité abondamment, en le teintant d’un érotisme voyeur très explicite, comme dans les Demoiselles des bords de Seine (1856-1857, Paris, musée du Petit Palais), ou dans Le Sommeil (1866, ibid.). Cependant, il y a loin entre La Fileuse de Courbet et une figure érotique ; seul Théophile Gautier (1811-1872), que l’observation du pli du cou rend voluptueux, tente pareille allusion. La Fileuse apparaît de prime abord comme un tableau convenable, une scène de la vie quotidienne au réalisme sage. Pourtant, si le scandale ne fut pas aussi grand que pour Les Baigneuses, ses compagnes au Salon de 1853, La Fileuse endormie provoqua bien des remous. On pointa l’aisance apparente de la jeune femme, sa robe brodée de fleurs, ses boucles d’oreilles, la chaise confortablement tapissée, opposée à l’outil fruste et déjà passéiste du rouet : cette paysanne aisée semblait tirer ses revenus moins de la filature que d’activités plus légères. Le sommeil est synonyme d’oisiveté, allusion à la figure allégorique de l’Acédia, la paresse, personnifiée dès la fin du xvie siècle par « une femme endormie près de sa quenouille ». Les caricatures contemporaines montrent la fileuse sale, mal peignée : la femme oisive est par définition négligée. La critique morale se complique avec l’interprétation politique de Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), qui attribue ce sommeil à la fatigue de la travailleuse (Du Principe de l’art et de sa destination sociale, 1865). Nous nous trouvons ainsi au coeur de la peinture de Gustave Courbet : la matérialité des étoffes, le réalisme des attitudes, la suavité de l’abandon font de La Fileuse un sujet avant tout charnel et terrien. Pourtant, la complexité des détails, des références iconographiques et de leur réinterprétation plus ou moins consciente dotent l’innocent tableau d’une charge sociale venant déranger l’ordre et la morale, et susciter les passions. Paul Valéry devait enfin dégager en 1920, dans ses Vers anciens, toute la puissance poétique du tableau : « Assise, la fileuse au bleu de la croisée Où le jardin mélodieux se dodeline ; Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée. Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline Chevelure, à ses doigts si faibles évasive, Elle songe, et sa tête petite s’incline. […] Le songe se dévide avec une paresse Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule, La chevelure ondule au gré de la caresse… »

Emplacement

- 37 - Salle Courbet

Numéro d'inventaire

868.1.20

Date

1853

Type d'oeuvre

Peinture

Dimensions

sans cadre : L. 117.00 cm x H. 90.50 cm x E. 3.50
avec cadre : L. 141.40 cm x H. 115.00 cm x E. 10.20 cm

Materiaux

peinture à l'huile

Genre

Scène de genre

Thème

  • Femme, féminin, féminité
  • Vie quotidienne