La Lamentation sur le Christ mort

Révélé en 2012 à l’occasion de la grande exposition « Corps et ombres. Caravage et le caravagisme européen » (Montpellier, Toulouse), ce tableau de provenance prestigieuse (les collections Chigi à Rome) permet de mieux appréhender la diffusion rapide du caravagisme peu après la disparition du maître en 1610. L’épisode narré par les quatre évangélistes illustre le moment où Jésus, descendu de la Croix, est roulé dans un linceul et pleuré par saint Jean, la Vierge, Marie-Madeleine, Nicodème et Joseph d’Arimathie. Ce dernier, disciple en secret de Jésus, avait obtenu l’autorisation d’ensevelir sa dépouille. Autour du corps du Christ, placé de biais sur un linceul recouvrant la pierre tombale, se tiennent les figures à mi-corps qui toutes réagissent à leur façon à cet événement inouï : douleur de Marie, les deux bras largement ouverts en direction de son fils, désespoir de Jean, le visage dissimulé dans un linge, émotion de Joseph d’Arimathie qui sèche ses larmes dans un pan du linceul, compassion de la Madeleine, dissimulée dans l’ombre, curiosité et empathie de Nicodème qui pointe sa tête à l’extrême droite de la composition. Les ombres denses, le cadrage rapproché, la sobriété de la palette colorée (avec ses accords de jaune, de vert et de grisbleu), la monumentalité de la composition, le franc naturalisme (la tête chevelue et ensanglantée du Christ tout près du rebord de la toile qui crée un contraste frappant avec le blanc immaculé du linceul) montrent que Spada a largement médité les retables de Caravage lors de son séjour à Malte, peu après le départ du maître, puis lors de son passage à Rome sur le chemin du retour (La Mise au tombeau de la Pinacothèque du Vatican, La Mort de la Vierge du musée du Louvre). Presque ébranlé par la révélation du naturalisme puissant et agressif de Caravage, Spada se rallie à son esthétique et nous livre ici une de ses créations les plus fortes, d’une intensité dramatique et émotionnelle unique dans son oeuvre.