Avec Le Crapaud, en 1940, et La Sauterelle, en 1944, deux sculptures dont le titre évoque le règne animal mais dont la silhouette est féminine, Germaine Richier entame un travail profondément original, destiné à prendre une place centrale dans son oeuvre. De son enfance vécue au contact de la nature, elle a gardé le goût d’en collecter les dépouilles : sur les plages des Saintes-Maries-dela- Mer, elle ramasse des galets et du bois flotté ; de la campagne languedocienne, elle se fait envoyer par son frère des branches d’olivier et des insectes. Dans son atelier à Paris, elle conserve dans une vitrine coquillages, os de seiche, squelette de chauve-souris, galets, végétaux pétrifiés, etc. En 1945, elle façonne à partir d’une bûche L’Hommeforêt, assemblage de bois, de feuilles et de plâtre auquel la fonte en bronze vient donner son intégrité. La nature n’est plus un motif d’étude, un répertoire de formes, elle est devenue un matériau. L’année 1946 est exceptionnellement créatrice pour Richier, qui achève trois oeuvres majeures : La Chauve-Souris, L’Araignée I, La Mante. Dans cette série des « hybrides », démêler la part de l’homme de celle de l’animal est difficile. Parfois inquiétantes, parfois paisibles, ces oeuvres renvoient l’être humain à ses origines, et traduisent aussi bien la violence de ses pulsions que la permanence de son inscription dans le cosmos. L’écrivain et sociologue Roger Caillois (cité par Valérie Da Costa) souligne les similitudes qui rapprochent la chauve-souris de l’homme : petit mammifère doté d’un pouce opposable, mamelles pectorales et flux menstruel périodique chez la femelle, pénis libre et pendant chez le mâle. La mauvaise réputation de la chauve-souris, la terreur qu’elle inspire, son caractère nocturne, ses relations avec le monde infernal en font une sorte de double obscur de l’être humain, dont l’apparence déchiquetée semble ici porter les stigmates d’une guerre à peine achevée. Pour La Chauve-Souris, Richier utilise pour la première fois un matériau pauvre, la filasse. Utilisée d’ordinaire pour créer des volumes, la filasse est ici employée pour ses propriétés naturelles : plongée dans le plâtre, puis égouttée et étendue, elle devient une sorte de résille ajourée, évoquant la fragilité de la membrane qui couvre les ailes des chauves-souris. La délicatesse de l’objet semble défier la technologie de la fonte, gageure que le fondeur Thienot relève avec succès. Richier décide pour la première fois de ne pas recouvrir la sculpture d’une patine, mais de conserver le bronze dans son état naturel qui, une fois nettoyé, est doré. Cette technique, que l’on retrouve dans les années 1950 avec La Cigale, Tauromachie, Le Cheval à six têtes, traduit une autre des préoccupations de l’artiste, celle de réintroduire la couleur en sculpture. Elle annonce ainsi les incrustations de verre coloré et les plâtres peints de L’Échiquier réalisés dans les dernières années de la vie de Richier. L’Araignée I inaugure quant à elle la présence des fils dans la sculpture, qui permettent, comme l’écrit Georges Limbour, « l’organisation du vide », reconstruisant l’espace « entre des lignes presque idéales ». Dès le modelage en plâtre, des fils de fer sont introduits dans l’oeuvre. Ceux-ci, tendus entre les extrémités des membres de l’insecte qu’ils semblent prolonger, suivent un ordonnancement géométrique (ici, un triangle strict), développé par la suite dans Le Diabolo, Le Griffu, ou encore La Fourmi. Cette figure prédatrice, en tension vers l’avant, paraît néanmoins menacée d’un déséquilibre. On sait par Françoise Guiter, nièce et élève de Richier, que la sculptrice possédait un ouvrage sur les toiles d’araignées qui la fascinaient. Le plâtre original de l’oeuvre fut exposé en 1947 au Salon de mai.
Emplacement
- 45 - Salle RichierNuméro d'inventaire
2006.12.1
Date
1946
Type d'oeuvre
SculptureDimensions
Materiaux
fonte à la cire perdue
Thème
- Nature