Le Martyre de saint Donatien et ses compagnons à Carthage

Palma le Jeune est le meilleur représentant de « l’éclectisme académique » de la fin du siècle à Venise. Élève de Titien (vers 1488-1576), il s’illustre à plusieurs reprises sur le chantier du palais des Doges (plusieurs fois incendié), notamment à la salle du Scrutin (1587-1594) avec un célèbre Jugement dernier. C’est de la même époque que date Le Martyre de saint Donatien peint pour l’église San Pietro al Po à Crémone, saisi par les armées françaises en 1796 et envoyé par l’État à Montpellier en 1804, parmi un lot de cinq tableaux. Le sujet nous ramène au temps des grandes persécutions contre les chrétiens à Carthage sous l’empereur Valérien : après le meurtre de l’évêque Cyprien, ses disciples, dont Donatien, sont jetés en prison sur ordre de Solon, gouverneur de Carthage. Refusant d’abjurer leur foi en Christ, ils furent alors martyrisés. La composition, datée de 1593, appartient encore au maniérisme, avec ses figures repoussoirs au premier plan, ses ruptures d’échelle, ses raccourcis audacieux, ses rythmes décoratifs et ses effets d’accumulation. Le regard sans cesse sollicité passe d’un plan à un autre sans répit. Les musculatures puissantes, l’élongation des figures, les armes scintillantes font songer à Tintoret (1518-1594), qui fascinait l’artiste. L’homme entraîné par un cheval à gauche est un emprunt direct à la célèbre composition de Tintoret, Saint Marc libérant un esclave, exécutée en 1548 pour la Scuola di San Marco (Venise, Gallerie dell’Accademia). Les forts contrastes d’ombre et de lumière, la palette à dominante de tons bruns et rouges, égayés ici ou là par les blancs éclatants et les bleus lapis (aujourd’hui décolorés) renforcent encore l’effet de panique et la folie sanguinaire des persécuteurs. Au second plan à gauche, un homme torture un prisonnier, lié et couché, en lui versant un liquide dans la bouche qu’un soldat tient ouverte en y enfonçant une barre de fer. Ce mélange presque improbable de naturalisme (visages individualisés, détails triviaux) et de fantaisie (chevaux fougueux) fait tout l’intérêt de ce tableau imposant qui montre chez Palma une volonté de réconcilier à la fin du siècle nature et manière.