Le Mont Saint-Michel sous l'orage

Théodore Gudin est un important représentant de la peinture de paysage romantique, spécialisé dans les marines et les vues de port. Après avoir été élève au collège royal de la Marine d’Angoulême, le jeune homme navigue durant trois ans avant de se former à la peinture auprès de Girodet (1767- 1824), de Gros (1771-1835), puis de David (1748-1825) à Bruxelles. Il expose pour la première fois au Salon de 1822, et remporte bientôt des commandes officielles de Charles X, de Louis-Philippe puis de Napoléon III, mais aussi du roi de Prusse ou du tsar de Russie. En 1839, pour le musée de l’Histoire de France au château de Versailles, Louis-Philippe lui commande cent trente-cinq peintures illustrant les grands épisodes de l’histoire de la marine française. Ce tableau a sans doute été peint à la suite du séjour de l’artiste sur les côtes de la Manche et en Bretagne en 1830. De ce voyage demeurent quelques études prises sur le vif du célèbre mont Saint-Michel. D’approche objective, elles diffèrent radicalement de la composition finale, marquée par une dramatisation visionnaire du site, typique du romantisme. Gudin use adroitement des contrastes d’ombre et de lumière, faisant surgir la silhouette de l’abbaye, dont la célèbre flèche de 1899 est encore absente. Une vive lumière dorée, inspirée de la peinture hollandaise du Siècle d’or, tombe sur le chevet de l’abbaye et fait briller les formes gothiques des lancettes et des pinacles de l’église. Le drame est renforcé par le groupe de voyageurs et de bouviers au premier plan, qui semble tout à coup pris entre deux masses d’eau alors que la marée monte. Le peintre, en ajoutant ces figures de petites dimensions, renforce encore la monumentalité de l’abbaye, et joue sur la démesure des échelles, selon le goût du sublime. Ce tableau, tout en contraste, est un formidable témoignage de la sensibilité romantique appliquée au paysage, mêlant la violence et les tourments d’une nature hostile à la silhouette fascinante d’un édifice médiéval célèbre.