Le Passage du gué

Ce paysage monumental, qui appartint à la comtesse d’Albany avant d’entrer en possession de Fabre, est l’un des rares tableaux de Voogd, important paysagiste hollandais de la colonie d’artistes cosmopolites installés à Rome à la fin du xviiie siècle : arrivé en Italie en 1788, il y reste jusqu’à sa mort. En compagnie de Johann Christian Reinhart (1761-1847), il dessine sur place les sites de la campagne romaine et compose en atelier des paysages qui, à l’époque où il exécute notre oeuvre, constituent une synthèse réussie des traditions du xviie siècle, issues du Français Claude Lorrain (vers 1604/1605-1682) et des Hollandais italianisants Herman van Swanevelt (vers 1603-1655), Nicolaes Berchem (1620-1683) et Jan Asselijn (vers 1614-1652). La lumière vespérale, le jeu équilibré et serein des lignes verticales et horizontales sont un hommage de Voogd, surnommé le « Claude hollandais », à son modèle. La lumière, plus enveloppante que chez ce dernier, nourrit l’ensemble des teintes du paysage, admirablement rendue même dans ses effets dissolvants des formes, telles celles de la tour de guet qui surmonte la colline au second plan. L’ampleur, le jeu pittoresque des plans montrent qu’il a étudié aussi Swanevelt. Au demeurant, Voogd donne aux arbres une présence qui témoigne de son intérêt pour le naturalisme hollandais à la manière de Jacob van Ruisdael (vers 1628-1682). Ce paysage majestueux, de composition classique, sert de cadre à une scène pastorale inspirée de Berchem et d’Asselijn, peintres de nombreuses traversées du gué par un troupeau. Les bergers de Voogd sont vêtus du costume traditionnel du Latium, avec la coiffe plate pour les femmes, et possèdent une force et une carrure bien adéquates, différentes de la grâce un peu maniériste de ceux de Berchem. Remarquable animalier dans la tradition de Paulus Potter, le peintre a bien observés les animaux, et ses boeufs ont les cornes effilées de ceux qui sont élevés dans la campagne romaine