Le Retour d'Ulysse

Ce tableau, heureusement réapparu à l’occasion d’une exposition à Milan en 2002, permet de mieux cerner la personnalité de Fabre dans les années cruciales qui suivent son installation à Florence. Malmené par les événements politiques, contraint de s’adapter aux exigences du portrait mondain, Fabre revient à sa vocation première de peintre d’histoire à la faveur de commandes émanant de clients étrangers. Le sujet est emprunté au chant XIX de l’Odyssée d’Homère : au moment où Ulysse regagne sa patrie, la nourrice Euryclée est l’une des premières personnes à le reconnaître en voyant, alors qu’elle lui lave les pieds, une cicatrice qui lui rappelle la blessure ancienne d’un sanglier faite « en suivant au Parnasse les fils d’Autolycos ». C’est alors que le héros plaque sa main droite sur la bouche de la nourrice et lui intime l’ordre de ne pas révéler son identité. Dans le fond, à gauche, on reconnaît Pénélope qui médite, songeuse et émue, le récit que le mendiant (Ulysse) vient de lui faire sur l’époux disparu. La sobriété du décor, avec la colonnade et la lourde draperie, rappelle David, le maître de Fabre (notamment La Douleur d’Andromaque), mais traduit aussi une bonne connaissance de bas-reliefs antiques de même sujet, connus par la gravure (Monumenti antichi inediti de Winckelmann). À travers le mobilier (chaise curule, guéridon, trône), Fabre fait étalage de sa science archéologique, ponctuée d’une note de préciosité qui lui est coutumière. Le clair-obscur dramatique souligne l’intensité de l’échange entre les protagonistes de la scène – le brasier, la tunique incandescente d’Euryclée, la jarre dorée – et s’oppose au groupe de Pénélope, enlevé dans une gamme plus froide. Dans ce tableau empreint d’un charme mystérieux qui renvoie aussi à Poussin pour l’analyse des passions humaines, Fabre se laisse aller à une stylisation accrue et à un goût « primitiviste » qui s’affirme dans son oeuvre à partir des commandes pour lord Holland, en 1796, et qui ira en s’accentuant jusqu’au Saül, en 1803, qui clôt en quelque sorte la période de jeunesse