L’année 1853 est une date charnière dans la carrière de Courbet et le conduit à clarifier sa position visà- vis du système des Beaux-Arts. Depuis ses premières participations au Salon, le peintre caresse l’espoir ambigu d’une carrière officielle, se flatte de la reconnaissance de l’État qui lui achète l’Après-dînée à Ornans en 1849 (Lille, palais des Beaux-Arts), ou de celle du duc de Morny, frère adultérin de l’empereur Napoléon III, acquéreur des Demoiselles de village en 1852 (New York, The Metropolitan Museum of Art). Il ne cesse cependant de proclamer son indépendance et de pourfendre le système académique, en produisant des tableaux toujours plus provocants (Un enterrement à Ornans, 1850, Paris, musée d’Orsay). En envoyant au Salon de 1853 Les Lutteurs (Budapest, musée national des Beaux-Arts), La Fileuse endormie, et Les Baigneuses, Courbet choisit clairement son camp. Les révolutions artistiques qui marquent le xixe siècle sont traversées par une exigence nouvelle de vérité en peinture ; perçue comme fidélité au réel, elle s’oppose à un idéal classique qui prétend corriger la nature. Les premières tentatives de réforme portent sur un genre mineur, le paysage ; puis Courbet s’attaque aux scènes de la vie quotidienne. En 1853, il franchit un nouveau palier en abordant le nu, exercice académique par excellence. Sur la toile des Baigneuses, Courbet a d’abord envisagé une sorte d’allégorie mettant en scène un personnage féminin. Puis il a tenté de porter à une échelle monumentale une étude pour un suicide, Le Fou de peur (Oslo, Nasjonalmuseet). Enfin, par-dessus ces deux compositions, il a entrepris Les Baigneuses. Peu de temps avant le Salon, il dit avoir ajouté « un linge sur les fesses » du personnage principal. Ce repeint de pudeur n’amoindrit en rien le scandale causé par le tableau. Peu de peintres ont ouvertement défié le Salon en contrevenant aux règles les plus élémentaires. Si certains critiques accordent quelques mérites à la facture, les commentaires oscillent entre dégoût, incompréhension et raillerie. Le négligé des attitudes, le pied sale et le bas défait sont vus comme des indices d’une saleté morale autant que physique. L’anatomie du modèle, en rupture avec les canons académiques, est perçue comme une provocation : Théophile Gautier reste le plus poli en parlant de « Vénus hottentote ». La gestuelle des deux personnages, leur relation restent une énigme, et achèvent de détourner les esprits les mieux disposés, comme Delacroix. Contre toute attente, un jeune amateur provincial se porte acquéreur du tableau pour la somme conséquente de 3 000 francs-or. Tout aurait dû détourner Alfred Bruyas d’une pareille folie : sa condition respectable d’amateur éclairé, la taille du tableau qui n’a rien d’une oeuvre de chevalet, l’avis de ses amis, la réputation sulfureuse de l’oeuvre qui est parvenue jusqu’à Montpellier. La radicalité de son choix n’a d’égale que celle de l’artiste : cet achat scelle entre les deux hommes un pacte d’amitié. Bruyas poursuit le rêve de faire triompher la vérité en peinture, et Courbet, son indépendance financière assurée, peut se libérer définitivement des obligations officielles.
Emplacement
- 37 - Salle CourbetNuméro d'inventaire
868.1.19
Date
1853
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
Scène de genreThème
- Femme, féminin, féminité
- Le corps
- Vie quotidienne