L’Homme à la pipe de Courbet, un des joyaux de la galerie Bruyas, s’inscrit dans la longue série des autoportraits de Courbet qui s’échelonnent de 1842 à 1855. Chaque image correspond à une étape de l’évolution artistique du peintre. Renonçant à tout artifice, Courbet choisit d’offrir son visage, le plus près possible du rebord de la toile, dans un moment d’intimité : cheveux en broussaille (la radiographie a révélé la présence d’un bonnet à l’origine), barbe noire suivant les belles sinuosités du visage, larges paupières baissées, lèvres vermeilles et sensuelles qui retiennent en leur coin une petite pipe (attribut obligé de l’artiste en bohémien), accoutrement sans apprêt particulier, col ouvert, rude tunique de travailleur. La légère torsion du cou et du buste, bien peu naturelle, fait surgir avec une incroyable soudaineté cette tête trophée perdue dans une mystérieuse rêverie. Ce gros plan, particulièrement hardi, a pour objectif d’amener le spectateur au plus près de l’expérience picturale de l’artiste qui cherche à s’affranchir des conventions du temps pour s’en tenir à la restitution de la réalité la plus immédiate et la plus charnelle. D’où les ombres denses qui creusent le visage en lui conférant une impression d’apparition, la pâte crémeuse et luisante sur le front, le nez et le revers blanc du col. Cette proximité matérielle du corps ainsi restituée apparaît chez Courbet comme un véritable manifeste artistique et l’on comprend mieux le sens des mots envoyés à son mécène Bruyas au moment de l’achat du tableau en 1854 : « C’est non seulement mon portrait, mais encore le vôtre. J’ai été frappé en le voyant ; c’est un élément terrible pour notre solution. C’est le portrait d’un fanatique, d’un ascète, c’est le portrait d’un homme désillusionné des sottises qui ont servi à son éducation et qui cherche à s’asseoir dans ces principes. » Cette percée naturaliste qu’exprime magistralement le tableau est parfaitement en consonance avec les professions de foi du cercle de la brasserie Andler, à deux pas de l’atelier de Courbet à Paris, dans lequel évoluent le poète Baudelaire, le penseur Trapadoux et le critique Champfleury. La connaissance de l’art des maîtres du Nord admirés lors du voyage en Hollande en 1846 et sans doute aussi des Espagnols (comme le pensait Bruyas) a conforté Courbet dans ses choix esthétiques. Le portrait, remarqué dès sa présentation au Salon de 1850-1851, échut à Bruyas à la grande satisfaction de Courbet qui se félicita qu’il ait échappé « aux barbares » et au prince-président lui-même ! Présenté à l’Exposition universelle de 1855 puis à nouveau lors de l’exposition particulière des oeuvres de Courbet en 1867, le tableau fut copié à plusieurs reprises par l’artiste, ce qui en dit long sur la célébrité et le caractère exceptionnel du tableau acquis par le collectionneur.
Emplacement
- 37 - Salle CourbetNuméro d'inventaire
868.1.18
Date
Vers 1849
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- L'artiste