La nature morte du musée Fabre est exposée pour la première fois au Salon d’automne de 1904 avec treize autres toiles sages : des intérieurs, compositions florales, natures mortes, qui ne laissent rien filtrer de la radicalité de Luxe, calme et volupté (Paris, musée national d’Art moderne), alors en chantier. Tout se passe comme si Henri Matisse, en choisissant délibérément des toiles peintes une décennie plus tôt, préparait en grand secret le coup d’éclat qui marquerait l’avènement du fauvisme au Salon des indépendants et au Salon d’automne de 1905. Depuis dix ans, le critique Roger Marx (1859-1913) regarde avec bienveillance le travail du peintre ; inspecteur général des musées, il fait acheter par l’État en 1904 cette Nature morte, au prix de 400 F, une somme importante pour le ménage Matisse qui vit encore d’expédients. Le thème de la nature morte traverse tout l’oeuvre de Matisse, de la Nature morte aux livres (1890, Nice, musée Matisse) aux dernières peintures qui précèdent la technique des gouaches découpées, tel le Grand Intérieur rouge (1948, Paris, musée national d’Art moderne). D’année en année, Matisse peint les mêmes objets, faïences, assiettes, bouteilles, couteaux, qui habitent véritablement son quotidien, comme Gustave Moreau le constate en visitant son atelier en 1896 : « C’est magnifique, c’est extraordinaire, il a vraiment arrangé sa vie pour faire de la peinture. » Le couteau à manche noir et la cruche de faïence apparaissent ainsi dans la Nature morte au pichet et au couteau noir (Nice, musée Matisse) ; le pain bâtard, les triviales bouteilles contenant du vin de table et de l’eau sont également sur la table dressée de La Serveuse bretonne (1896, collection particulière). Toutes ces oeuvres ont en commun une gamme argentée et sobre, idéale pour restituer les transparences du verre et des liquides, et préparent une toile ambitieuse, La Desserte (1896-1897, collection particulière), hommage à Jan Davidsz de Heem (1606-1684). On en devine, à l’arrière-plan de ce tableau, la toile encore vierge, posée sur chant, avec quelques rares châssis de plus petit format, qui coûtaient alors aux Matisse d’importants sacrifices. Cet ensemble de natures mortes témoigne à l’automne 1896 de la timidité picturale de l’artiste qui reste encore confiné dans les vues d’intérieurs et les copies de maîtres anciens ; il osera bientôt aborder le paysage, le portrait, genres dans lesquels il se montrera bien plus audacieux. Cependant, ces tables simplement dressées restent comme un exemple sensible et vibrant du Matisse des débuts, déjà attentif à la vie silencieuse des choses, sous l’influence d’un Jean Siméon Chardin (1699- 1779) qu’il vénère et affronte au Louvre des années durant, dans un face-à-face impressionnant dont La Raie (Le Cateau-Cambrésis, musée Matisse) constitue le meilleur témoignage.
Emplacement
- 42 - Salle des modernesNuméro d'inventaire
D05.2.3
Date
1896
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
Nature morteThème
- Alimentation
- Les couleurs