Les années 1967-1968 marquent dans l’oeuvre de Pierre Soulages un changement considérable. Jusqu’alors et depuis plus d’une décennie, sa peinture mettait en jeu une palette où le bleu, le rouge, le brou de noix, le blanc jouaient un rôle essentiel aux côtés du noir, comme si la lumière était le fait d’une couleur s’opposant à l’obscurité. L’oeuvre se développait essentiellement sur des formats verticaux, d’abord aux dimensions du commerce, puis fondés sur le rapport irrationnel du nombre d’or. La peinture était travaillée en couches épaisses, autorisant raclages et transparences pour en faire jaillir la lumière. À l’inverse, pendant ces années charnières, Soulages radicalise sa pratique, et ne s’autorise que le seul dialogue du noir et du blanc ; les formats se développent horizontalement au-delà des limites habituelles ; la couleur est répandue de façon uniforme, en plages d’intensité égale. « En 1968-1970, j’ai commencé à faire une série de peintures en noir sur blanc, retournant à un ascétisme cistercien – comme certains l’ont dit. J’ai senti personnellement le besoin profond, l’exigence de ce retour », confie-t-il en 1970 à Catherine Millet. Pierre Soulages avait réalisé de nombreuses peintures au brou de noix sur papier en 1947, qui ne sont pas sans présenter quelques parentés formelles avec cette série. Mais il donne un nouveau sens à cet usage, en exprimant sa volonté d’isoler l’oeuvre de son contexte : « Le noir est la couleur qui s’oppose le plus à tout ce qui l’entoure. Un tableau noir et blanc n’a rien à voir avec son environnement qui est toujours coloré. » De cette ascèse voulue naissent des toiles impressionnantes de maîtrise. C’est d’abord une pure réussite technique, qui voit le peintre contrôler parfaitement la coulée sombre sur le blanc immaculé de la toile, pour obtenir une forme venue d’un seul jet, que toute reprise aurait immanquablement détruite. C’est encore le défi relevé d’une monumentalité, obtenue avec le seul moyen d’un ruban de peinture noire liquide, qui se boucle et se développe avec un dynamisme inédit à une échelle si colossale. La toile apparaît dans l’exposition « Soulages 1970- 1972 » organisée par la galerie de France du 31 mai au 31 juillet 1972, en même temps que la manifestation voulue par le président Pompidou, « 1960-1972, douze ans d’art contemporain », qui ignore délibérément les artistes installés au profit des nouvelles générations. La critique, qui accueille très favorablement le travail de Pierre Soulages, ne manque pas de s’étonner de sa mise à l’écart : « Pourquoi fait-on comme si les Grands des années 1950 avaient cessé toute activité, alors que l’actuelle exposition Soulages apporte en un défi éclatant la preuve qu’il est encore possible de peindre », lit-on dans Opus international. L’opposition des générations apparaît d’autant plus arbitraire que les jeunes artistes de Supports/Surfaces, originaires pour la plupart du Languedoc, connaissent bien le chemin de l’atelier de Sète
Emplacement
- 47 - Collection SoulagesNuméro d'inventaire
2005.12.6
Date
1971
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Thème
- Abstraction