Durant ses premières années à Paris, Frédéric Bazille fut frappé par les toiles à sujets modernes d’Édouard Manet mettant en valeur des célébrités anonymes de la rue comme La Chanteuse des rues (vers 1862, Boston, Museum of Fine arts), tableau à propos duquel Émile Zola vantait « le labeur consciencieux d’un homme qui veut, avant tout, dire franchement ce qu’il voit ». C’est précisément le programme que s’était fixé le jeune Bazille qui entreprend ici une de ses rares peintures parisiennes apportant une note inédite dans sa brève production plutôt marquée par la couleur et le Sud. Dans le Paris du Second Empire, ces petits mendiants ou musiciens ambulants venus d’Italie étaient nombreux. Selon le témoignage de Maxime Du Camp (1822-1894), ils « pullulaient » même, jouant de la harpe et du violon et montrant des marmottes ou des singes. Sans sentimentalisme mais avec détermination et dans un souci de vérité, Bazille porte son regard sur cette fillette attifée à la manière d’une adulte, avec un large châle et un chapeau agrémenté de fleurs. Elle tient de la main gauche un violon et de l’autre un archet. Elle ne joue pas véritablement. Toute la tension du tableau réside dans ce geste maladroit, comme suspendu, et dans la position de ce visage aux joues trop pleines, au menton trop lourd et au regard douloureux tourné vers l’extérieur. L’immobilité de la figure, implorante et digne à la fois, condamnée à la rue et pourtant étrangement coupée du monde environnant, suscite chez le spectateur un vague sentiment de compassion et de gêne. La modernité de la toile ne tient pas seulement au traitement du sujet, elle éclate aussi dans l’exécution hardie qui laisse la touche bien visible et tranchée, ainsi que dans les audaces de la palette colorée. La figure sans véritable épaisseur, telle une carte à jouer, se détache sans concession sur le fond chaotique du boulevard. La touche virevoltante et confuse (peut-être abandonnée à cet état d’esquisse) tente de suggérer, avec ces militaires et ces femmes élégantes, le mouvement perpétuel de la rue dans les grandes métropoles modernes. Sur ce camaïeu de gris de zinc se détachent quelques rares couleurs : le vert du tablier, la coulure d’un rouge sensuel de la sacoche, le rose des fleurs du chapeau. Le traitement sobre et rêche de ces fleurs rappelle celui de Manet dans ses tableaux de pivoines de 1864 (Paris, musée d’Orsay). La Petite Italienne chanteuse des rues est un témoignage précieux et précoce sur la sensibilité de Bazille pour la grande ville qui subit alors de profondes mutations. Au printemps 1864, alors qu’il préparait son doctorat en médecine, il avait dit son envie de peindre Paris, puis il n’en fut plus question. Au total, la ville moderne, avec ses places, ses parcs, ses gares, ses avenues, n’apparaît pas (sauf ici allusivement) dans l’oeuvre du peintre, qui préfère, comme Gustave Courbet, le réalisme des figures et les paysages de sa contrée natale.
Emplacement
- 39 - Salle BazilleNuméro d'inventaire
2002.5.1
Date
1866
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- Vie quotidienne