Lorsqu’il présente Phèdre au Salon de 1880, Alexandre Cabanel est un peintre parvenu au sommet de sa carrière, membre de l’Institut, couvert de médailles, doté pour ses portraits d’une clientèle aussi inépuisable que fortunée. L’oeuvre appartient aux grandes compositions théâtrales qui jalonnent sa production, telles la Mort de Francesca da Rimini et Paolo Maltesta (1870, Paris, musée d’Orsay) ou Cléopâtre expérimentant du poison sur les condamnés à mort (1887, Anvers, musées royaux des Beaux-Arts). Cabanel la destine au musée de sa ville natale en souvenir de la bourse qui lui fut octroyée dans sa jeunesse pour poursuivre sa formation à l’École des beaux-arts de Paris. La scène, tirée de la culture classique, nous montre Phèdre mettant au désespoir ses suivantes, après avoir avoué son désir coupable pour Hippolyte, le fils de Thésée son époux. Comme pour décourager toute interprétation abusive, Alexandre Cabanel a pris soin de placer un extrait de la tragédie d’Euripide dans le catalogue du Salon : « Consumée sur un lit de douleur, Phèdre se renferme dans son palais et un voile léger entoure sa tête blonde. Voici le troisième jour que son corps n’a pris aucune nourriture : atteinte d’un mal caché, elle veut mettre fin à sa triste destinée. » Le modèle est probablement l’épouse de l’un des frères Pereire, cette riche famille de banquiers parisiens dont Cabanel fit plusieurs portraits et dont il décora l’hôtel particulier. Le type frêle et fin de la jeune femme évoque également Sarah Bernhardt (1844-1923), qui triomphe alors dans la pièce de Racine à la Comédie-Française. À la demande de l’actrice, Émile Zola (1840-1902) adapte pour elle son roman La Curée sous le titre de Renée (1881). Le personnage central y apparaît comme une Phèdre du Second Empire, évoluant sur fond de spéculation foncière et d’affairisme, affamée de jouissances, jetant son dévolu sur le fils de son époux, Maxime. Zola goûtait fort peu l’art d’Alexandre Cabanel, l’une de ses cibles favorites dans ses comptes rendus du Salon : « Voyez cette misère. Voilà Monsieur Cabanel avec une Phèdre. La peinture en est creuse, comme toujours, d’une tonalité morne où les couleurs vives s’attristent elles-mêmes et tournent à la boue. Quant au sujet, que dire de cette Phèdre sans caractère, qui pourrait être aussi bien Cléopâtre que Didon ? C’est un dessus de pendule quelconque, une femme couchée et qui a l’air fort maussade. » Cependant, on ne peut s’empêcher de penser que l’oeuvre a joué un rôle dans la création de Renée, et que, sous le masque de la tragédie antique, Cabanel livre avec Phèdre une peinture critique de son époque, comme Thomas Couture (1815-1879) l’avait fait en son temps avec Les Romains de la décadence (1847, Paris, musée d’Orsay).
Emplacement
- 35 - Cabanel et l'académismeNuméro d'inventaire
880.2.1
Date
1880
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
HistoireThème
- Femme, féminin, féminité
- Le corps
- Mythologie