Philoctète dans l'île de Lemnos

Véritable testament artistique de celui que l’on nomme le « Poussin moderne » (il devait mourir le 24 septembre 1822), ce tableau compte aussi parmi les plus beaux témoignages du paysage historique du xixe siècle. Le thème fut souvent abordé par les artistes néoclassiques tels que Valenciennes, Drouais, Lethière ou Fabre : Philoctète, guerrier de Thessalie, dépositaire des armes d’Hercule, prend part à la guerre de Troie. Lors d’une escale à Ténédos, il est blessé au pied par une des flèches. L’odeur insupportable de la blessure contraignit Ulysse et ses compagnons à abandonner le malheureux dans l’île de Lemnos où il subsista dix ans en tuant des oiseaux à l’aide de l’arc miraculeux. L’artiste se montre fidèle à l’enseignement de son maître Valenciennes ainsi qu’à Poussin pour asseoir sa composition : sélection rigoureuse des éléments naturels, étagement des plans à l’aide des troncs entremêlés à gauche – formant coulisse – et de la masse compacte du rocher à mi-distance, et enfin, échappée vers un lointain lumineux. Il adapte aussi son coloris (selon l’enseignement des « modes » de Poussin) au sujet pathétique : les vapeurs qui s’élèvent dans le ciel étendent des ombres blêmes sur le rivage. Seul au milieu de cette grandiose scénographie naturelle, comme abandonné à des forces obscures, le chasseur s’agenouille pour recueillir sa proie. Le romantisme sous-jacent à l’oeuvre montre chez Michallon, au lendemain du séjour italien, une volonté de renouveler en profondeur le genre du paysage en joignant à la clarté de Poussin le pathos fiévreux de Rosa ou de Vernet, sans oublier l’observation tenace de la réalité héritée des Nordiques admirés au Louvre. Miraculeusement équilibré, dramatique et inquiétant mais sans grandiloquence, le tableau marque un moment d’apogée pour le paysage classique, nouvellement promu grâce à la création du grand prix de Rome en 1816 dont Michallon fut l'année suivante le premier lauréat. Fabre, passionné par le sujet – abordé par lui-même à plusieurs reprises –, acheta le tableau au jeune Michallon lors d’un séjour parisien en 1822.