Le portrait tient une place essentielle dans l’activité de Bruyas collectionneur et cette propension égotique lui valut de nombreuses railleries. Il prit la peine d’organiser sa défense sur ce point, par l’intermédiaire du critique Théophile Silvestre (1823-1876), pour qui « [Bruyas] ne s’est condamné à poser tant de fois devant eux [les peintres] qu’afin d’arriver à bien juger, par cette série d’observations personnelles, l’art et les artistes contemporains. Réalisée à force de constance et de sacrifice, [son idée] l’a fait d’abord l’unique sujet, puis le meilleur juge de ce piquant et rare concours par lui seul provoqué » (Galerie Bruyas, 1876). De tous ces portraits, bien des indices désignent celui de Delacroix comme le favori du collectionneur : il fut choisi comme seule et unique représentation de Bruyas parmi les trente sujets de la collection lithographiés par Jules Laurens (1825-1901), et le peintre Édouard Marsal (1845-1929) en exécuta une copie en réduction que Bruyas transmit à sa soeur (musée Fabre). On connaît également une série de photographies qui nous montrent Bruyas dans un costume et une pose analogues, « rejouant » a posteriori la scène du tableau. L’obtention par Bruyas de ce portrait peint par Delacroix – le dernier que le peintre réalisa – fut en effet une très grande victoire ; en 1853, Bruyas était encore ce jeune provincial, établi depuis peu à Paris, que ses interventions dans le monde artistique commençaient à signaler. Delacroix était intrigué par cet amateur, qu’il avait déjà croisé lors d’une cure dans les Pyrénées en 1845, et qui lui évoquait Hamlet, personnage dont il était alors fort préoccupé. Delacroix ne s’étend guère dans son Journal sur les séances de pose, mais Silvestre lui prête de façon plausible ces propos : « Quelle complication de nerfs, de bronchite et de fièvre ! J’ai moi-même de tout cela. Mais qu’il est atteint ! À sa petite toux sèche et violente, je crains de lui voir rendre l’âme dans son mouchoir. » Le peintre semble en effet plein d’empathie pour son modèle, dont il livre probablement l’image la plus fine : un homme souffrant, dont le manteau enveloppant et les bras retombants disent la lassitude ; une distinction naturelle, que la pose négligée n’amoindrit pas ; un fils prodigue dont les bagues, broches, chaînes, ostensiblement montrées, signalent la richesse ; un être mélancolique dont le regard intériorisé trahit l’inquiétude existentielle. Ce portrait devait longtemps hanter Van Gogh (1853-1890) qui, après l’avoir découvert au musée Fabre en 1888, écrivait à son frère Théo : « Brias [sic] était un bienfaiteur d’artistes et je ne te dirai que ceci. Dans ce portrait de Delacroix, c’est un monsieur à barbe, cheveux roux, qui a bigrement de la ressemblance avec toi ou moi et qui m’a fait penser à cette poésie de Musset… Partout où j’ai touché terre, un malheureux vêtu de noir auprès de nous venait s’asseoir, qui nous regardait comme un frère. »
Emplacement
- 32 - Delacroix et l'OrientalismeNuméro d'inventaire
868.1.41
Date
1853
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- Collection, collectionner
- Les couleurs