Le visage saturnien de Charles Baudelaire, avec son grand front dégarni, ses yeux fixes, sa bouche fine, ses joues creuses, ses cheveux flottants, a été abondamment diffusé par la photographie. Peu de portraits peints sont cependant connus : Émile Deroy (Portrait de Baudelaire, 1844, Versailles, musée national du château) nous montre le jeune poète empli d’une nonchalante assurance ; Fantin-Latour, dans son Hommage à Delacroix (1864, Paris, musée d’Orsay), décrit un personnage solitaire et préoccupé, en marge du groupe réuni pour rendre hommage au grand peintre ; il semble définitivement étranger, de passage. Le Portrait de Baudelaire par Courbet montre un visage encore bien différent, comme pour mieux illustrer la phrase que l’on prête au peintre : « Je ne sais pas comment aboutir […] tous les jours il change de figure. » Jeune et glabre, penché vers le livre dans lequel il s’est absorbé, le cou tendu, la main crispée, vêtu à la diable d’une robe de chambre, le poète apparaît en travailleur, sans nulle muse à ses côtés mais l’injonction d’une plume, panache blanc planté telle une flèche dans l’encrier. L’intérieur sommaire, peut-être celui de l’atelier de Courbet, hébergement provisoire d’un Baudelaire fuyant ses créanciers, baigne dans cette atmosphère romantique des débuts, quand les gloires se forgent dans le dénuement. Les deux amis ont alors un intérêt commun pour le réel, Baudelaire le contempteur de la vie moderne, Courbet le peintre des corps pesants et d’un monde vrai. Le même enthousiasme les transporte en 1848, lorsque le poète fonde Le Salut public, un journal révolutionnaire dont Courbet dessine les vignettes. Ils redécouvrent avec leur ami Champfleury l’art populaire et les compositions de Pierre Dupont, le chansonnier ouvrier. Baudelaire fait l’éloge de Courbet, « un puissant ouvrier, une sauvage et patiente volonté ». On sait cependant que les vues esthétiques des deux hommes divergent bientôt : Baudelaire se détourne d’un réalisme qu’il juge trop naturaliste au profit d’une conception plus élevée de l’art, dont la figure de proue est Delacroix. Signe de cette conversion, ou bien du désordre de sa vie matérielle, il ne devait finalement jamais entrer en possession de ce tableau. Courbet semble lui garder cependant toute son estime : on retrouve son Baudelaire trait pour trait dans L’Atelier du peintre en 1855 (Paris, musée d’Orsay), isolé et singulier à l’extrême droite de la composition, parmi ceux qui soutiennent son action, placé comme à l’origine chronologique de toute chose. L’année où le peintre se défait du portrait, il dédie un autre tableau au poète (Bouquet d’asters, Bâle, Kunstmuseum), comme s’il ne voulait pas ternir une très ancienne amitié.
Emplacement
- 37 - Salle CourbetNuméro d'inventaire
876.3.21
Date
1848
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- Vie quotidienne