Curieuse et brève, la carrière de Jules Bastien- Lepage semble reposer sur deux sources contradictoires qui le définissent parfaitement : le monde rural, dont ce fils de cultivateur né à Damvillers est issu ; l’Académie, à travers Alexandre Cabanel dont il fut l’élève de 1868 à 1875 à l’École des beaux-arts, sans obtenir le prix de Rome. Avoir élaboré cette synthèse paradoxale reste le principal mérite de cet artiste à l’origine du mouvement naturaliste bientôt répandu dans toute l’Europe. D’un élève de Cabanel, on pouvait attendre un honnête talent de portraitiste ; Bastien-Lepage fut dans ce domaine tout simplement excellent. Il témoigna d’un esprit d’invention pure, ne se contentant jamais de formules ressassées, qu’il s’agisse de ses proches, dont on pénètre presque par effraction l’intimité directe et franche, du prince de Galles mis comme un ambassadeur d’Holbein (Nice, musée des Beaux-Arts), ou d’une Juliette Drouet hors d’âge, fragile et jaunie comme une coquille d’oeuf (Paris, musée Victor-Hugo). Dans ce contexte, le Portrait de Sarah Bernhardt apporte des solutions originales, aussi bien pour l’oeuvre du peintre que pour l’iconographie de la comédienne. L’utilisation du strict profil, les paupières closes, la teinte légèrement olivâtre des chairs font de ce portrait une image presque dérangeante, qui renvoie à un univers spirite et morbide, cependant familier du modèle. Le tableau du musée Fabre fait partie d’un ensemble d’études ou de copies de détails issu d’un tableau plus ambitieux (il nécessita quarante-cinq séances de pose) présenté au Salon de 1879 (San Francisco, collection Anne et Gordon Getty). On y découvre l’actrice assise de profil sur un sofa, examinant une statuette qu’elle tient dans ses mains. Sarah Bernhardt pratiqua la sculpture, et prit les conseils de Mathieu-Meusnier (1824-1896) ; c’est donc en connaisseur qu’elle jauge un petit Orphée en plâtre patiné, invisible sur notre tableau, modelé par Bastien-Lepage. En raison de la personnalité du modèle, le portrait fut abondamment commenté dans la presse, y compris par Sarah Bernhardt elle-même, qui, sous un nom d’emprunt, prodigua les plus grands éloges au peintre : « Le portrait est une exquise merveille : les chairs nacrées et délicates, les cheveux roux sont un prodige d’exécution » (Le Globe, mai 1879)
Emplacement
- 40 - Salle CastelnauNuméro d'inventaire
895.6.1
Date
1879
Type d'oeuvre
PeintureDimensions
Materiaux
peinture à l'huile
Genre
PortraitThème
- Femme, féminin, féminité